💎 Defacto : l'API de Cocagne
Il est un pays d’abondance et de plaisir où les financements sont instantanés, les conditions réunies pour créer des réussites entrepreneuriales en un temps accéléré, et où les façons d’organiser le travail laissent toute leur place à l’autonomie et à l’épanouissement. Ce pays existe dans la French Tech, façonné par une startup de la fintech, Defacto.
Bon d’accord, c’est une thèse audacieuse balisée par un jeu de mots qui me tendait les bras (par ici si vous ne l’avez toujours pas). Pour autant, Defacto fournit de solides preuves pour espérer que, oui, ce pays de cocagne tech est plus proche de nous qu’on ne le croit.
Dans cette deuxième édition de La Fresh Tech, nous examinerons l’aventure Defacto sous toutes ses coutures :
L’histoire : comment naissent les licornes de nos jours
Le produit : une API de financement instantané
Marché & stratégie : B2B2B or not to be
Organisation & culture : éloge de la maturité
Les risques
C’est parti ! 🚀
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(Ca va mieux en le disant : j’ai choisi ce sujet, le contenu n’est pas sponsorisé et les analyses proposées n’engagent que moi.)
⏪ L’histoire : comment naissent les licornes de nos jours
S’intéresser à la genèse de Defacto, c’est réaliser à quel point l’écosystème de la French Tech a mûri ces dernières années. Passer de la création à plus de 100 M€ de financements attribués en 18 mois comme Defacto l’a atteint n’aurait pas été faisable il y a 5 ans. Tous les facteurs de croissance ont été réunis pour accélérer le développement de cette potentielle future licorne : l’expérience, les financements, les partenaires.
1) L’expérience. Les 3 fondateurs ont une solide expérience à tous points de vue : sur leurs métiers respectifs, sur comment faire grandir une startup, et sur les points de souffrance à soulager pour le marché.
Jordane Giuly est l’un des co-fondateurs de Spendesk, où il a été responsable du produit et notamment de l’intégration avec le système bancaire. Il a pu se rendre compte des difficultés rencontrées par les PME clientes pour se financer.
Morgan O’Hana, après des débuts au BCG, a été responsable de la stratégie chez Spendesk. Elle a notamment développé les partenariats. (J’en sais quelque chose puisque je porte toujours les chaussettes TripActions qu’elle nous avait distribuées en novembre 2019.)
Marc-Henri “Marco” Gires a officié comme data scientist et dev full-stack pendant 8 ans, dont plusieurs dans la Silicon Valley.
2) Les financements. Defacto a levé un tour d’amorçage de 3 M€ en novembre 2021, puis une série A de 15 M€ en juin 2022. Un historique marquant à plus d'un titre :
La vitesse de levée : 18 M€ en 1 an d’existence.
La diversité géographique des fonds de VC impliqués : Global Founders Capital est d’origine allemande, Headline américaine et Northzone scandinave.
La montée en puissance d’une nouvelle génération de business angels français : on compte au tour de table les co-fondateurs d’eFounders, Spendesk et Pennylane.
L’émergence de fonds de dette spécialisés dans la fintech : il faut bien que Defacto ait des sous à prêter, et c’est auprès de l’israélien Viola Credit qu'ils s’alimentent. Un fonds qui a levé 700 M$ spécialement pour la fintech.
3) Les partenaires. Malt et Qonto, ça vous parle ? Ce sont 2 des acteurs via lesquels Defacto propose sa solution à des milliers de TPE / PME. Sans un solide écosystème de startups (i) avec une large base de clients et (ii) souhaitant élargir leur offre en intégrant du financement pour continuer à se développer, le modèle de Defacto serait de facto impossible.
Pour résumer : il n’y a pas (ou plus) de génération spontanée, les licornes sont désormais les descendantes de celles qui leur ont ouvert la voie.
👀 Le produit : une API de financement instantané
Defacto souhaite contribuer à soulager les besoins de trésorerie des TPE/PME. Elle offre pour cela des financements de court-terme flexibles, jusqu’à 4 mois, pour le vendeur (ex : je voudrais encaisser ma facture maintenant et pas dans 60 jours) ou pour l'acheteur (ex : j'aimerais payer plus tard la facture que je viens de recevoir).
La singularité de Defacto réside dans la distribution de ces financements par API, c'est-à-dire via des partenaires qui intègrent l'offre en marque blanche.
Les API expliquées en 2 paragraphes
API signifie Application Programming Interface (et non pas Alcoolisation Ponctuelle Importante pour ceux qui se seraient perdus dans Wikipedia). C’est une façon de faire communiquer 2 programmes informatiques.
Les serveurs de Malt vont par exemple transmettre aux serveurs de Defacto que l’utilisatrice Bob le Freelance, avec ses caractéristiques x, y et z, demande une avance de 3.000 €. Les algorithmes de Defacto chauffent et les serveurs envoient des infos dans l’autre sens : oui, le prêt est accepté, mais pour 2.000 €. Comment Malt en est venu à obtenir ces informations, et comment Defacto a traité la demande de prêt, c’est leur affaire respective ; seul ce que chacun a besoin de savoir de l’autre est échangé.
Parler d’API, c’est voir que le livrable de Defacto, c’est du code (jetez un coup d'œil à la documentation pour voir concrètement). Et qu’il y a par conséquent 2 strates d'utilisateurs :
Le partenaire qui souhaite enrichir son application avec une offre de financement intégrée. Les lignes de code de l’API se matérialisent dans l’interface du partenaire, par exemple avec un bouton “Demander une avance de trésorerie” (cas de Pennylane).
Le client final : l’entreprise qui optimise sa trésorerie. L’UX du partenaire se mue en €€€ sur le compte du bénéficiaire.
Ce mode de distribution par API rend possible la promesse de Defacto : le financement en 1 clic sans paperasse. Via ses partenaires, Defacto peut récupérer des données sur l'emprunteur (ex : l'historique de facturation) qui facilitent le traitement de la demande, sans que le demandeur ait à réunir une pile de documents.
En termes de modèle économique, Defacto ne facture pas l'accès à l'API, mais fait de l'achat-revente d'argent :
Emprunter auprès d'investisseurs spécialisés des liquidités au taux t
Prêter à ses emprunteurs à un taux t+marge. À ce jour, 0,05% d'intérêt par jour sont facturés à ses emprunteurs.
Un vieux dicton business donne la recette du succès : “buy low, sell high // collect early, pay late”. Defacto aide ses clients sur la seconde partie, et gagne sa croûte avec la première.
🎯 Marché & stratégie : B2B2B or not to be
L'avantage avec le marché du financement, c'est que je n'ai pas à passer des heures à convaincre le lecteur qu'il existe. 373 milliards d'euros de crédit aux entreprises ont été débloqués rien qu'en France en 202X, chacun peut citer 5 géants bancaires de tête, le besoin est là, vieux comme le capitalisme.
L'arme fatale : la distribution
Toute la question, c'est de savoir comment Defacto peut se faire une place sur son marché. La stratégie de distribution est leur facteur différenciant fondamental : atteindre les clients emprunteurs via des partenaires qui ont déjà établi la relation. Pas besoin d'une armée commerciale, mais de responsables de partenariats. Le temps pour signer un partenariat est plus long que de signer une PME en direct, mais une fois un partenariat lancé, ce sont des milliers de clients potentiels auxquels Defacto a désormais accès.
Ce modèle de distribution a 2 grands avantages :
Il est scalable à l'international :
Defacto peut proposer ses services dans de nombreux pays européens sans avoir à les adapter.
Quand un partenaire s'étend dans de nouvelles contrées, il peut embarquer Defacto sur son porte-bagage.
Il permet de dégager des marges plus élevées (c'est mon hypothèse) car le client emprunteur est touché au sein de son parcours d'achat ou de vente. Sans offre alternative immédiatement disponible, donc. Ceci est bien différent d'une situation de recherche de prêt "hors-sol" où les emprunteurs vont comparer les offres et tirer les taux d'intérêt vers le bas.
Defacto a commencé par attaquer les verticales de la fintech et des places de marché de services, quand les acteurs similaires sont souvent concentrés dans l’e-commerce (Hokodo, par exemple).
Pour finir, ce mode de distribution contribue à élargir le marché. Car ces dernières années, 10% des PME de l’UE citent la paperasse comme obstacle principal à un financement.
Victoire rime avec standard
Se différencier, c'est bien ; le rester, c'est mieux… et dur. Comment Defacto peut-il consolider des avantages concurrentiels sur le long terme ?
3 forces sont à l’oeuvre (je m’appuie sur l’excellent framework des 7 Powers) :
Branding : Defacto se pose en partenaire privilégié des fintech et places de marché B2B. La startup a investi dès le début dans la formalisation de sa marque, et a un positionnement focalisé sur son API, quand d'autres ont parfois une offre d'API masquée derrière une activité orientée directement vers les emprunteurs.
Switching costs : quand un partenaire investit dans l'intégration de solutions de financement Defacto, avec implication des équipes partenariat, produit et dev, ce n'est pas pour en changer le lendemain.
Cornered resources : si Defacto rassemble les meilleurs spécialistes du croisement API x fintech, il sera difficile à un nouvel entrant de trouver les talents pour être au niveau.
Ces 3 forces ont l'immense qualité de se renforcer mutuellement :
Le branding peut être attractif pour les partenaires mais aussi pour les talents.
Les switching costs consolident la base clients qui renforce l'image de marque.
Réunir les Avengers de l'API peut servir l'image de marque, et la qualité du produit, donc renforcer les switching costs (pourquoi se séparer de la meilleure offre du marché ?)
Le visage de la victoire pour Defacto : devenir un standard de marché. La parole à une responsable partenariat d'une belle startup de la French Tech en 2025 : “Pas besoin d’y passer 6 mois, prenons Defacto pour lancer notre module de financement. Je les connais bien, on avait bossé avec eux dans ma précédente boîte. En plus les devs adorent - un combat de moins à mener avec le CTO en comex, je dis pas non.”
Le futur : les options restent ouvertes
Le modèle de distribution de Defacto ne les empêchent pas d’offrir leurs services à des clients qui s'inscrivent directement via le site. Certains partenariats se situent d’ailleurs entre deux rives. Le hub financements de Qonto renvoie ainsi vers Defacto après que le client autorise ce dernier à accéder aux données du compte.
Avoir une relation client entièrement gérée par Defacto peut leur permettre de :
Tester de nouvelles offres auprès de cohortes limitées
Démontrer leur proposition de valeur auprès de partenaires potentiels
Maintenir une option de se développer en B2B selon l’évolution du marché et des besoins des clients
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🧬 Organisation & culture : éloge de la maturité
Ce qui frappe en écumant profils LinkedIn et pages recrutement de Defacto, c'est le niveau de maturité dans toutes les facettes de l'organisation.
1) Séniorité diverse dans l'équipe. Vous trouverez chez Defacto : un docteur en informatique spécialiste des API REST, des anciens CTO, une ex-conseillère ministérielle, un analyste venant de Merrill Lynch, un ancien manager de chez Bain, un ingé qui a travaillé sur la voiture autonome, des expériences chez BlaBlaCar, Amazon, Apple, Netflix (entre autres).
2) Autonomie individuelle au cœur de la structure ensuite. Les fondateurs le répètent d'interviews en podcasts, l'objectif est de forger une équipe de contributeurs individuels, avec seulement 2 échelons hiérarchiques (les fondateurs et les employés) tout en favorisant les relations de mentorat entre pairs.
Alors bien sûr, on fera remarquer qu'il n'y a que 15 personnes pour le moment. Mais dans un monde où nombre de startups essaient sans grand succès de valoriser au même niveau managers et contributeurs individuels, il est bon de voir de nouveaux acteurs pousser la frontière de l'innovation sur ce sujet. Sans oublier que l'on peut voir chez d'autres le management intermédiaire se mettre en place à leur niveau de développement.
3) De l'avance sur les avantages enfin, en prenant le meilleur des pratiques de l'écosystème tout en poussant le curseur sur certains aspects.
Avance par rapport aux comparables à leur stade de développement : 5 semaines de congés payés + 2 de RTT, congé paternité, liberté du lieu de travail. On attend parfois bien plus longtemps avant de dérouler les basiques !
Avance sur l'écosystème : les demi-journées ne comptent pas, 1 week-end prolongé par trimestre, 1 budget bien-être global plutôt que de prescrire des activités précises.
Séniorité x diversité x autonomie x qualité de vie au travail = maximisation de l'impact individuel et collectif.
1 an après son lancement, Defacto a dépassé les 100 M€ de volume de prêts, ce qui doit revenir à 10 M€ par employé vu l'effectif moyen sur la période. Une démonstration du levier que peut générer le numérique.
🚧 Les risques
La première des dépendances de Defacto, c'est l'accès aux liquidités qui lui permettent de proposer des financements à ses clients. Si demain les fonds de crédit devenaient plus frileux, le volume de prêts de la startup serait mécaniquement bridé. Le financement d'entreprises n'est pas un business où on peut faire les poches de sa grand-mère en attendant des jours meilleurs.
Une mauvaise gestion du risque emprunteur constitue la deuxième menace pour Defacto. Si les défaillances se multipliaient au-delà du niveau prévu par leurs modèles, quelles qu'en soient les causes (nouveaux secteurs moins bien évalués, retournement de conjoncture…), la survie de la société serait évidemment en jeu.
Si les deux premiers risques sont hypothétiques, le troisième est plus concret : la possibilité de voir des mastodontes de la fintech se positionner sur le même créneau du financement B2B par API. Avec des marques bien établies et une large clientèle existante à démarcher. Stripe propose ainsi une API de prêt aux Etats-Unis.
Le quatrième risque est celui d'une évaluation défavorable de la réglementation financière. Tout besoin d'informations ou de validations supplémentaires limiterait la promesse d'instantanéité et de simplicité.
Finissons avec une interrogation née pendant la préparation de cet article. Defacto s'appuyant sur une équipe resserrée, avec un mode de distribution qui décuple son impact (100x plus de clients emprunteurs ne nécessiteront pas une équipe 100x plus grosse), si tout le monde adoptait cette approche, qui créerait de l'emploi dans ce bas monde ?
(Une question qui se pose pour toute innovation génératrice de gains de productivité, avérés, espérés ou craints. Comme pour la fée IA, par exemple.)
La réponse à ce paradoxe est que le levier qu'incarne Defacto, cette capacité à générer beaucoup de valeur avec peu de contributeurs, est transmise à travers leur produit. Les entreprises utilisatrices des API peuvent élargir les services proposés tout en se concentrant sur ce qui les différencie vraiment.
C’est une dynamique vertueuse. Defacto a par exemple utilisé l'API de paiement de Swan pour construire son produit. Des acteurs établis ou tout juste lancés utilisent à leur tour l'offre de financements de Defacto pour enrichir leurs produits. Defacto est la fille de son époque, et la mère de la prochaine.